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Déconfinement : à quelles conditions sortir du télétravail ?

À partir du 11 mai 2020, l’activité est censée reprendre progressivement et les salariés peuvent reprendre peu à peu le chemin du travail (sous réserve des restrictions à l'usage des transports communs posées dans les grandes agglomérations). Faut-il en déduire que, à compter de cette date, les entreprises qui pratiquaient le télétravail sont en mesure d’imposer à tous leurs salariés de regagner leur lieu de travail ?

L’organisation du travail, prérogative de l’employeur

Le gouvernement l’a répété : le 11 mai 2020 ne marque pas un retour de la normale, mais le début d’un long processus de déconfinement progressif. Le protocole national de déconfinement du 3 mai 2020 insiste sur le fait que, pendant cette période, le télétravail « doit être la règle chaque fois qu’il peut être mis en œuvre ».

Ce document n’a cependant pas de valeur juridique. Il ne remet donc pas en cause le fait que, en principe, l’organisation du travail (et ipso facto, la décision de recourir ou non au télétravail) relève du pouvoir de direction de l’employeur.

À première vue, les entreprises ont donc toute latitude pour imposer le retour au travail de leurs salariés dès le 11 mai. Cette affirmation doit cependant être nuancée. La sortie du télétravail ne peut en effet pas se faire à n’importe quelles conditions.

Obligation légale de sécurité

Mesures de prévention préconisées par les pouvoirs publics. - Le protocole de déconfinement met en place une série de recommandations très complètes pour organiser le travail de façon à limiter les contacts entre les personnes et éviter ainsi de relancer l’épidémie : respect des règles de distanciation, limitation du nombre de salariés présents simultanément, horaires alternés, plans de circulation, etc.

À cela s’ajoutent les fiches conseil élaborées par l’administration à l’attention de certains métiers ou de certains secteurs, qui sont en ligne sur le site internet du ministère du Travail (https://travail-emploi.gouv.fr/).

Il faut bien entendu mettre à part le cas des salariés avec des contraintes de garde d’un enfant de moins de 16 ans ou handicapé maintenu au domicile, vulnérables ou cohabitant avec des personnes vulnérables. Ils sont autorisés à rester chez eux et, en cas d’impossibilité de travailler, doivent être placés en activité partielle par leur employeur sur la base d’un justificatif (attestation sur l’honneur ou certificat médical d’isolement selon le cas).

Problématiques liées à l'usage des transports publics. - Il est certain que l’exposition au risque lié au covid-19 n’est pas la même pour des salariés contraints d’utiliser des transports en commun, particulièrement dans les grandes agglomérations, et pour des salariés qui peuvent se rendre au travail avec leur propre véhicule personnel ou par des moyens de transport alternatifs.

Dans ce contexte, si l’emploi du salarié le permet, le télétravail peut être en lui-même un outil de prévention. À cet égard, entre le protocole du ministère du Travail, les messages des grands opérateurs de transports publics et les annonces faites par le gouvernement le 7 mai 2020, l’incitation à poursuivre le télétravail est forte, au moins pour un temps.

Ainsi, en Île-de-France, aux termes d’une charte conclue le 6 mai 2020 par les pouvoirs publics, les opérateurs de transport, les organisations patronales et une partie des syndicats, les partenaires sociaux signataires s’engagent à promouvoir auprès des entreprises et des salariés le télétravail et, plus généralement, toutes les mesures permettant de soulager les transports publics et d’éviter les pics de circulation (recours aux modes de transport alternatifs, horaires décalés, etc.).

Enfin, toujours en Île-de-France, la ministre de l'Écologie, Elisabeth Borne, a prévenu que l'usage des transports en commun en heures de pointe pour des raisons professionnelles nécessiterait une attestation de l'employeur

Obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé des salariés. – Le « protocole national de déconfinement » des pouvoirs publics a beau ne pas avoir de portée juridique, ses préconisations peuvent venir au soutien d’une obligation qui, elle, est inscrite noir sur blanc dans le code du travail : tout employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de chaque salarié ; il doit notamment mettre en œuvre des mesures d’évaluation et de prévention des risques professionnels (c. trav. art. L. 4121-1 et L. 4121-2).

Imposer le retour des salariés sur le lieu de travail sans respecter les mesures de prévention préconisées par le gouvernement peut donc caractériser la violation par l’employeur de son obligation de sécurité.

C’est de ce point de vue que les préconisations du gouvernement revêtent un caractère « fortement incitatif », si ce n’est obligatoire. Et l’on n’oubliera pas non plus les fiches métiers mises à disposition par le ministère du Travail sur son site internet.

À cet égard, on soulignera que ces préconisations ne constituent pas non plus l’alpha et l’oméga des mesures dont le respect exonérerait l’employeur de toute responsabilité. Si nécessaire, selon le contexte propre à son entreprise (configuration, activité, etc.), l’employeur devra le cas échéant aller plus loin.

Du respect scrupuleux du protocole de déconfinement au retour au travail « sauvage »

Pour illustrer de façon simple les conséquences juridiques des décisions de l’employeur, on peut raisonner à partir de deux cas diamétralement opposés (et quelque peu extrêmes). L’exercice nécessite d’extrapoler et, naturellement, les hypothèses que nous formulons ne préjugent en rien de la position qu’adopteraient les services de contrôle ou le juge dans de telles situations.

Retour organisé dans le respect des mesures de prévention. - Une entreprise organise le retour au travail d’une partie de ses salariés jusqu’alors en télétravail. Elle respecte scrupuleusement les mesures de prévention préconisées par le gouvernement et, sur certains points, va au-delà au regard de ses risques particuliers. Le télétravail reste possible pour les personnes contraintes d'utiliser les transports publics.

En théorie, l’employeur serait en droit sanctionner les salariés qui refuseraient de regagner le lieu de travail au jour fixé par l’employeur. Cette sanction pourrait aller jusqu’au licenciement pour les salariés qui persisteraient dans leur refus malgré les relances de l’employeur et la garantie que les mesures de prévention préconisées par les pouvoirs publics ont bien été mises en œuvre (abandon de poste).

Retour imposé en l’absence de toute mesure de prévention. - À l’inverse, une autre entreprise impose le retour au travail de la totalité de son personnel, alors qu’elle n’a mis en place aucune des mesures de prévention préconisées par les pouvoirs publics, estimant qu’il appartient simplement à chaque salarié de limiter les contacts avec ses collègues.

Une telle situation caractériserait à notre sens un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, lequel peut entraîner des conséquences civiles (actions en réparation).

Si outre le non-respect des mesures de prévention, l’employeur provoque des situations de danger avéré (ex. : maintien dans un même espace de travail de personnes vulnérables avec des salariés présentant les symptômes du covid-19), on pourrait envisager des conséquences plus radicales : exercice légitime par les salariés de leur droit de retrait (c. trav. art. L. 4131-1), voire prises d’acte de la rupture justifiées ou résiliations judiciaires du contrat de travail aux torts de l’employeur.

En outre, au plan collectif, dans les entreprises d'au moins 50 salariés, de telles situations autorisaient à notre sens le comité social et économique (CSE) à exercer son droit d'alerte en raison d’un danger grave et imminent (c. trav. art. L. 2312-60) ou à diligenter une expertise pour risque grave (c. trav. art. L. 2315-94).

Enfin, toujours dans les hypothèses les plus graves, la violation par l’employeur de son obligation de sécurité pourrait engager sa responsabilité pénale.

Zone grise et solutions de bon sens

Bien entendu, entre le respect scrupuleux des consignes de prévention et leur ignorance totale, il existe une multitude de situations possibles. Compte tenu de la complexité de mise en œuvre des mesures préconisées par les pouvoirs publics, la pratique se situera généralement entre ces deux extrêmes.

Au final, en cas de litige, c’est au juge qu’il appartiendra de déterminer si l’employeur était dans la nécessité de faire revenir tout ou partie des salariés au travail et, dans l’affirmative, si les mesures de prévention mises en œuvre assurent une protection raisonnable du personnel physiquement présent.

Un document mis en ligne sur le site du ministère du Travail, intitulé « les obligations générales de l’employeur et sa responsabilité » et rédigé dans le contexte de l’épidémie de covid-19, explique assez bien la difficulté à mesurer le respect par les entreprises de leur obligation de sécurité, dans un contexte aussi exceptionnel : « face à la pandémie, la responsabilité de l’employeur est évaluée au cas par cas, au regard de plusieurs critères : nature des activités du salarié et son niveau d’exposition aux risques, compétences de l’intéressé, expérience, étendue des mesures prises par l’employeur, notamment en termes de formation et d’information, d’organisation du travail, d’instructions délivrées à la chaîne hiérarchique. »