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Contrat de travail

Reconnaissance du statut de salarié à un livreur à vélo : la Cour de cassation persiste et signe

Le 28 novembre 2018, la Cour de cassation avait permis à un livreur à vélo, qui exerçait son activité comme travailleur indépendant, d’obtenir la requalification de la relation contractuelle l’unissant à la société Take Eat Easy en contrat de travail. Dans une décision du 24 juin 2020, la Cour de cassation réitère sa position concernant un contrat liant un livreur à la même société.

Livreur à vélo d’une plate-forme numérique, un salarié déguisé ?

Dans cette affaire, après avoir été immatriculé en qualité d'auto-entrepreneur, un coursier avait conclu un contrat de prestation de services avec la société Take Eat Easy. Cette société utilisait une plate-forme numérique et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo (exerçant, comme l’intéressé dans cette affaire, leur activité sous un statut d’indépendant).

Le coursier avait saisi les juges d’une demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail. Il pointait notamment l’existence d’un système de pénalités (dites « strikes »), distribuées en cas de manquement du coursier à ses obligations contractuelles (ex. : incapacité de réparer une crevaison, refus de faire une livraison).

Pour le coursier, il s’agissait du pouvoir de sanction propre à la relation contractuelle entre un employeur et un salarié.

Pour la cour d’appel, un système de sanctions impropre à caractériser un lien de subordination

La cour d’appel avait rejeté sa demande, estimant que si de prime abord un tel système était évocateur du pouvoir de sanction que peut mobiliser un employeur, il ne suffisait pas dans les faits à caractériser le lien de subordination, critère traditionnel du contrat de travail.

En effet, les juges relèvent le peu de portée pratique des « strikes ». Ainsi, sur une période d'un mois glissant, un "strike" ne porte à aucune conséquence, le cumul de deux "strikes" entraîne une perte de bonus, le cumul de trois "strikes" entraîne la convocation du coursier "pour discuter de la situation et de (sa) motivation à continuer à travailler comme coursier partenaire de Take Eat Easy" et le cumul de quatre "strikes" conduit à la désactivation du compte et la désinscription des créneaux réservés.

Par ailleurs, les pénalités considérées, qui ne sont prévues que pour des comportements objectivables du coursier constitutifs de manquements à ses obligations contractuelles, ne remettent nullement en cause la liberté de celui-ci de choisir ses horaires de travail.

Les juges concluent en relevant que la liberté totale de travailler ou non dont avait bénéficié l'intéressé, qui lui permettait, sans avoir à en justifier, de choisir chaque semaine ses jours de travail et leur nombre, excluait l’existence d’une relation salariale.

Pour la Cour de cassation, une relation qui s’inscrivait dans un lien de subordination

L’affaire a finalement été soumise à la Cour de cassation, qui a retoqué les juges du fond.

La Cour rappelle d’abord que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité.

À cet égard, le lien de subordination se définit comme l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Or, dans cette affaire, la Cour de cassation souligne que le lien de subordination était bien caractérisé par deux éléments factuels relevés par les juges du fond :

-un pouvoir de sanction de la plate-forme ;

-un système de géolocalisation permettant de connaître la position et le comportement du coursier en temps réel.

Ce faisant, la Cour de cassation reprend l’argumentaire qu’elle avait déjà adopté dans son arrêt du 28 novembre 2018 pour reconnaître le statut de salarié à un livreur à vélo de la même société (cass. soc. 28 novembre 2018, n° 17-20079 FPPBRI).

Cass. soc. 24 juin 2020, n° 18-26088 D